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Éléonore Louvieux

Histoires courtes ou à suivre - Photographies

L'absent - Chapitre II

          Il était hors de question que je la revoie. Jamais. Je me suis d’abord installé chez Jean-Michel. Curieusement, c’est de celui dont j’étais le moins proche que je me suis rapproché. Est-ce si curieux d’ailleurs ? Les autres devaient être au courant ; tout le monde dans le quartier devait le savoir. J’étais le cocu de service. Et pas seulement cocu ! un pauvre type que l’on plaint parce qu’il s’est fait piquer sa femme par ce grand dadet sans allure, sans virilité, sans grâce ni charme. J’étais si mal et je n’avais aucune envie de croiser le regard de tous ceux qui savaient ou se doutaient. Je pouvais voir dans leurs yeux l’image qui se refléterait de moi et qui me rabaisserait encore plus. De cela, je n’avais aucun doute. Jamais on imagine se sentir honteux, humilié sans en être un peu responsable. Mais je n’éprouvais aucune culpabilité. C’était bien l’inverse. C’était moi la victime quand même.

          Après quelques semaines, je me suis décidé à louer un deux pièces ; j’emménageais à l’opposé de la ville, en périphérie. Je ne voulais plus jamais remettre les pieds dans cette partie de la ville où nous habitions. Je souhaitais couper les ponts avec tous ceux que je fréquentais alors, avec toute cette partie de ma vie ; sauf avec Yoann et Elise. Si je voulais avancer, il fallait que je laisse tout cela derrière.

          A ma grande surprise, ce ne fut pas si difficile de changer de lieu et de ne plus supporter quotidiennement Lisa (comme elle aimait qu’on l’appelle). C’était même plutôt agréable et parfois je me disais que j’aurais dû faire cela plus tôt. C’était néanmoins ce que je me disais tant que je ne rencontrais personne en ville qui fasse partie de ce passé. Je connaissais pas mal de monde dans cette petite ville de province où j’étais né, et c’était donc assez fréquent de croiser des connaissances dans les rues. Les réactions étaient diverses : certains faisaient semblant de ne pas m’avoir vu, d’autres prenaient un air gêné et discutaient un peu comme si rien n’avait changé et enfin certains prenaient un air apitoyé et je pouvais lire dans leurs yeux ce qu’ils pensaient de moi : c’était tellement bon pour eux d’avoir quelqu’un à regarder de haut. Je leur donnais l’impression qu’ils avaient une belle vie, réussie…

          Le reste du temps, quand j’étais tranquille chez moi et que je pouvais faire ce que je voulais ma vie n’était pas si mal. Je n’ai somme toute jamais été du style à m’enfoncer et à me complaire dans mon malheur. Cela ne sert à rien et je n’ai pas le goût du drame. A l’inverse de cette conne de Lisa qui ne pouvait pas vivre une seule journée sans faire part de son travail (« harassant »), de ses tâches à la maison (« chronophages »), de l’attention portée aux enfants (« hypnotisante »)… et je pourrais continuer cette liste sans fin.

          Heureusement, l’installation s’est vite terminée puisque je n’avais rien à installer. J’avais tout laissé chez nous (devenu chez eux depuis). Eux c’étaient Elizabeth, Yoann, Elise et ce con de Laurent. Ils formaient déjà un groupe dont je ne faisais plus partie. Je n’y avais aucune place. Je ne m’en suis pas rendu compte tout de suite. Je pensais, naïvement (mais un père n’a-t-il pas le droit de se montrer parfois naïf ?) que les enfants prendraient fait et cause pour moi, face à cette situation.

          Ce fut peut-être cela ma plus grande douleur.

          Au début, ils venaient me rendre visite de temps en temps. Assez vite, j’ai compris qu’ils venaient surtout si je les invitais à sortir. C’est vrai que « chez moi », la place était limitée, alors l’argument de rentrer chez leur mère pour ne pas me déranger revenait à chaque fois. Au début, ils se tenaient à distance du petit con, mais celui-ci semblait plus doué pour faire carrière que je ne l’avais pensé. Alors assez vite, il eut une bonne position dans une boîte de publicité et de communication. Comment, avec cette allure de poussin écorché, de merle disgracieux, avait-il pu réussir cela ? j’en suis encore sans voix. Mais le fait est, c’est ainsi que cela se passa. Il réussit ; on lui confia le secteur de la boîte qui était en contact avec le milieu du cinéma et il commença à tutoyer les artistes. Il en amenait certains chez nous… chez elle… chez eux. Alors, les visites des enfants et les soirées en leur compagnie s’espacèrent. Ils se firent rares. Au début, ils se creusaient un peu la tête pour me donner une excuse qu’ils croyaient valable. Avec le temps, même cet effort cessa. Je ne les voyais que très épisodiquement et j’avais bien compris qu’ils n’avaient pas très envie de prendre sur eux pour venir me voir.

          Que peut-il se produire de pire que cela ? Voir ses propres enfants si peu désireux de vous voir que vous comprenez que leur démarche n’est liée qu’à un « effort », un « travail » sur soi. Quand on voudrait que cela soit un plaisir naturel et spontané…


 

          Au bout de quelques temps, Jean est venu me voir, dans mon bureau. Il était très mal à l’aise. Je voyais bien qu’il ne savait pas quoi me dire mais qu’il espérait me faire comprendre qu’il ne soutenait pas du tout son fils ; qu’il ne le comprenait pas. Je l’ai cru. Je devinais sa position.

          Sylvain, c’est moi qui suis allé le voir ensuite. Je l’ai appelé et lui ai demandé s’il acceptait que l’on se retrouve dans un café du centre. Il a hésité ; ça je pouvais l’accepter. Il a finalement cédé et on s’est retrouvés au « Bossuet » devant un verre de vin (blanc pour moi, rouge pour lui, comme d’habitude). Je me suis lancé et je lui ai dit à quel point j’étais désolé de mon geste. Depuis, j’avais eu le temps de regretter ce que j’avais fait et je lui étais reconnaissant de m’avoir ouvert les yeux ; d’avoir eu le courage de me dire ce que tout le monde gardait pour soi. Il m’a regardé quelques secondes : entre l’apitoiement et l’amusement. Je m’y étais préparé ; il en avait le droit après tout. Puis, c’est bien la franche sympathie qui a pris le dessus. Solidarité masculine sans doute… Il faut dire qu’avec la femme qu’il avait… je me demande même s’il n’aurait pas préféré être à ma place finalement…. Il serait au moins tranquille désormais.

          Je me suis alors senti assez à l’aise pour en parler librement avec lui. Je n’avais rien vu venir, je l’avouais… Je n’aurais jamais pu penser que ce petit con… jamais je n’aurais imaginé que mes enfants aient ces réactions… De son côté, il hochait la tête… et il me dit ce que je n’avais pas envie d’entendre mais que je savais bien : tout le quartier le savait ou s’en doutait. C’était le sujet anecdotique préféré des camarades de Laurent. Ils disaient d’ailleurs que Yohan et Elise le savaient mais ne bougeaient pas.

          Bref l’histoire stéréotypée du cocu. Tout le monde le savait sauf lui… en l’occurrence sauf moi.

        Ce fut une épreuve d’entendre cela dit aussi clairement ; et vraiment, je n’avais vraiment pas envie de l’écouter. Mais cette fois, aucun geste brutal ne fut asséné. J’avais dépassé le stade de la colère.

          C’était un premier pas.

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