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Éléonore Louvieux

Histoires courtes ou à suivre - Photographies

Pourquoi il faut voir Okja…

Pourquoi il faut voir Okja

 

            On a tout entendu sur le film, fable moraliste, guimauve, grosses ficelles… Tous les lieux communs de ceux qui dénoncent les lieux communs, comme la critique sait en général si bien le faire. Mais qu’on le veuille ou non, quand on aime le cinéma, il faut voir Okja.

            En général, un film de Bong Joon-ho est déroutant. Ses personnages ne sont jamais simples et le spectateur est toujours un peu bousculé parce qu’il ne se passe jamais ce qu’il s’attend à voir. Tout ceux qui ont vu Memories of Murder ou Mother ou encore l’étonnant The Host, savent que Bong Joon-ho n’aime pas ce qui est simple, contrairement à ce que peut laisser supposer la première impression : on est amené à rire quand on voudrait pleurer, on a peur quand il ne se passe rien et inversement, on a envie de pleurer quand on aurait dû rire… Dans Okja, la course poursuite dans le centre commercial en est un bon exemple : on passe de la peur au rire, du rire à la peur, de la peur à la légèreté poétique etc. Ajoutons que les clichés ont en général la vie dure dans ses films, comme c’est le cas ici : l’adolescente n’est sujette à aucune « crise » (pas de larmes à outrances, d’embrassades, de câlins, de fous rires et de démonstrations d’affection excessives), le grand-père adore sa petite-fille mais ne la comprend pas du tout, la fuite effrénée dans le camion se termine non pas par une bravade quelconque de la part des humains mais de la part de l’animal qui clôt la poursuite par une défécation semblable à celle de l’hippopotame et un magistral pet ; jusqu’à la fin où le détenu libéré de prison ne fume pas la sempiternelle cigarette avec laquelle on le voit en général se délecter mais il l’écrase sous sa semelle… C’est déroutant pour certains par conséquent mais dans le panorama cinématographique actuel, c’est rassurant de se dire que toutes les productions ne sortent pas d’un moule plus ou moins commun.

          Cette originalité, on la retrouve dans ce film : les personnages ne sont pas des héros, il n’y a aucun jugement du réalisateur-scénariste qui nous offre une série de personnages avec leurs défauts et leurs qualités : les « vegans » sont courageux et n’hésitent pas à payer de leur personne pour un monde meilleur mais ils sont un tantinet « jusqu’auboutistes » et par conséquent parfois ridicules ; le grand-père adore sa petite-fille et veut lui épargner la peine de perdre Okja, mais il n’en regarde pas moins l’animal comme une pièce de boucher dont il détaille les morceaux et même l’héroïne est pleine de courage et prête à tout pour sauver sa meilleure amie mais le réalisateur est réaliste, elle fait tout cela pour sauver son cochon et, si elle saisit l’opportunité qui lui est donnée de sauver un porcelet, elle retourne chez elle et ne se soucie plus ensuite des congénères d’Okja qui passent à la moulinette. Il n’y a donc pas de lutte entre les bons et les méchants contrairement à ce qu’on lit car il n’y a pas de « bons » dans le sens stéréotypé, il y a des êtres plus dévoués et courageux que d’autres mais qui ne sont en rien des super-héros. Certes, il y a des méchants mais ils sont également assez peu conformes à ce que l’on s’attend à trouver dans les rôles de salauds : le présentateur qui essaye de donner un second souffle à sa carrière et qui pour cela accepte n’importe quoi à la télé (pas si surprenant à l’époque actuelle), la patronne « du moment » de l’entreprise qui essaye de ne pas donner une image désastreuse à son business et qui pour cela utilise tous les moyens de « com’ », pour reprendre à nouveau une méthode bien actuelle… Derechef, le spectateur est un peu bousculé, celle qui est présentée au début comme la méchante se transforme presque en gentille lorsque l’on découvre sa sœur. Celle-ci n’est elle-même pas vraiment ce à quoi on pourrait s’attendre : une vraie méchante aurait voulu garder Okja, pour le principe, mais dans le film elle est juste bassement intéressée et sans fierté (la scène d’échange finale, d’une très belle simplicité, est d’ailleurs d’une incroyable justesse)… Rien n’est donc simple avec les personnages de Bong Joon-ho.

          Sur le sujet même, on peut lire souvent le reproche suivant : les ficelles sont trop grosses… Le problème des ficelles n’est jamais de savoir si elles sont grosses ou petites car elles sont nécessaires, la question est de savoir si elles mènent quelque part ou pas. Dans ce dernier cas, on peut les dénoncer ; dans le premier cas, il est d’abord souhaitable de les étudier. Le film n’est pas une fable du tout et encore moins moralisatrice. Il invite chacun à se poser des questions devenues essentielles sur la nourriture : à une époque où dans les pays développés, les gens sont capables d’avaler n’importe quoi, est-il si incroyable que l’on puisse les inviter à se poser quelques questions ? Le film ne dénonce pas seulement l’industrie qui vend la viande des super-cochons parce que c’est une manne financière, il dénonce ceux qui travaillent dans les usines et cautionnent la souffrance des animaux (et il ne laisse à aucun moment entendre que tous les hommes doivent devenir végétariens), les autorités qui ferment les yeux et laissent organiser des manifestations publiques à la gloire de cette industrie mais aussi les acheteurs et consommateurs qui se jettent sur ces produits sans se poser de questions et en sont benoîtement ravis… La fin n’est donc pas du tout celle d’une fable qui se finit bien comme on le lit parfois, c’est l’inverse précisément : si Mija retourne chez elle avec le porcelet et Okja qui se remet de cette terrible odyssée, le reste du monde continue de subir tout cela… Et la dernière scène en forme de clin d’œil montrant le groupe des « vegans », prêts à agir à nouveau, nous laisse comprendre que les problèmes ne sont pas près d’être réglés. Or, on a pu voir ces dernières années avec les nombreux scandales sanitaires qui ont été dévoilés, que ce n’est pas une vaine question.

          Aussi, comme la population entière de la planète ne pourra pas envisager d’aller se réfugier dans les magnifiques montagnes de Corée du Sud, il est peut-être utile de considérer les questions soulevées par le film de Bong Joon-ho, de se les poser et surtout d’essayer d’y apporter des réponses.

          N’oublions pas, en sus de tout cela, les qualités habituelles des films du réalisateur : l’incroyable esthétique du film et une étonnante palette d’acteurs qui ont réussi à se glisser dans cette histoire fantasque avec une déconcertante aisance. Pour toutes ces raisons (et toutes les autres  qu’il serait trop long de détailler ici), il faut voir Okja.

 

© Éléonore Louvieux

 

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